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Au salon de l’agriculture de 2018 Emmanuel Macron disait “Je bois du vin midi et soir ». Vous ne l’aurez pas loupé, les hommes politiques ont pour tradition de s’engouffrer chaque année dans les différents salons qui s’organisent partout en France, et de vanter les mérites du Made in France.
Parmi ces salons, l’un des plus importants : le salon de l’agriculture. En effet, le chauvinisme français fait que chaque candidat doit montrer son amour pour la France et son patrimoine. Il doit donc aussi mettre en avant la production viticole française, très importante tradition de notre pays et un des plus grands postes à l’export.
La tradition viticole française est plus qu’ancienne et elle explique l’étroit lien qui subsiste entre politique, pouvoir et vin dans notre pays.
Le vin durant l’Antiquité
Depuis l’antiquité et le début de la viticulture (que l’on date vers le VIIème siècle avant J.-C.), le vin est considéré comme un marqueur social, de prestige. Il est donc en premier lieu consommé par les élites, et ces élites étaient bien souvent au premier rang du jeu politique. Ainsi, on peut attester par de nombreux témoignages écrits et picturaux que durant l’Antiquité romaine, l’aristocratie et les membres du parlement avaient pour habitude de s’adonner à de nombreux banquets et orgies dans lesquels le vin coulait à flots. Les classes populaires n’avaient pas de quoi se procurer ce breuvage.
L’invasion romaine de la Gaule mène à la plantation d’une multitude de vignes pour deux raisons. Premièrement, les sols et les climats s’y prêtaient, et secondement, c’était une manière de s’attirer la faveur des Gaulois afin de contrer les invasions barbares. Le développement des vignobles se poursuit en Gaule durant l’Antiquité, et ce dernier se démocratise, gagnant de plus en plus les classes populaires (ce qui deviendra le tiers état), bien que les élites continuent à se réserver les meilleurs crus. Les hommes de pouvoir ont toujours eu, en France, une appétence pour les meilleurs produits du terroir, et donc les meilleurs vins.
Le vin et le pouvoir religieux durant le Moyen-Âge
Puis, avec le développement de la chrétienté, à partir du IVème siècle, l’Église va véritablement instituer la viticulture dans le paysage agricole français. En effet, la liturgie de la communion nécessite des quantités conséquentes de vin. Ainsi, sous couvert de l’activité du “vin de messe”, les moines vont s’octroyer une très grande partie de la production viticole en France, d’où les nombreuses références catholiques qui subsistent encore aujourd’hui dans les vins.
Très vite, le vin devient donc l’apanage du clergé et de la noblesse. Le régime politique français étant, jusqu’à la Révolution, une monarchie de droits divins, le roi et sa cour se procurent de plus en plus les meilleurs vins pour accompagner leurs banquets. Cette boisson, produite par les membres du clergé, a un certain aspect divin et offre un certain prestige. Les meilleurs vins sont ainsi envoyés sur les tables des plus puissants afin de ravir leur palais. On assiste ici à la fondation du lien entre pouvoir et vin sur le territoire français : tout homme de la noblesse qui détient du pouvoir se doit de profiter des meilleurs crus produits sur le terroir national. Il est en effet faux de considérer, comme les intellectuels de la Renaissance ont tenté de l’établir, que tout le peuple français consommait allègrement cet alcool. Seuls la noblesse et le clergé pouvaient véritablement bénéficier de ce breuvage.
Révolution des techniques agricoles et des pensées
Avec la Renaissance et les Lumières, les techniques agricoles sont améliorées, ce qui permet d’améliorer la qualité des raisins produits, de mieux comprendre le cycle des vignes et de s’y conformer. De fait, de nombreux vins de grande qualité commencent à émerger au fil des décennies… et des siècles. Le bon vin devient véritablement le privilège des puissants et des gouvernants. Louis XIV, grand amateur de vins, a jeté son dévolu sur certains domaines qui, aujourd’hui encore, font partie des vignobles les plus prestigieux de France (on pense notamment à La Coulée de Serrant).
En 1855, Napoléon III établit la Classification officielle des vins de Bordeaux à l’occasion de l’exposition universelle de Paris se tenant la même année. C’est là l’un des premiers actes de “Soft Power” (action non coercitive d’exercer son pouvoir dans le monde), le monde entier qui se rend à l’exposition universelle peut observer la qualité des vins produits à Bordeaux en France. À partir de ce jour, la France ne va cesser de rayonner internationalement grâce à son catalogue de vins très diversifié.
Lorsque les nazis vont prendre possession de la France pendant la Seconde Guerre mondiale, les officiers en place à Paris auront l’occasion de vider les caves françaises de leurs meilleurs vins et Champagnes. Ce fut une façon humiliante de démontrer la prise de pouvoir d’une nation étrangère sur la France : la déposséder de sa production agricole la plus prestigieuse.
Temps contemporains, politique et vin
Depuis la Vème République et la politique Gaulliste de mise en avant de la production nationale, le vin français a connu un nouveau bond en avant, tant en termes de qualité qu’en termes d’exportation et de rayonnement à l’international. Jusqu’à aujourd’hui, le vin est un véritable moyen d’imposer la culture française dans le monde, comme l’a récemment démontré Emmanuel Macron lors de sa visite officielle en Chine. Il a en effet offert à Xi Jinping une bouteille de Romanée-Conti 1978, ainsi que du Cheval Blanc et d’autres grandes bouteilles qui symbolisent l’art de vivre à la française.
Par ailleurs, il faut comprendre que la production viticole représente le deuxième contributeur à la balance commerciale française (13 milliards d’euro en valeur), juste derrière l’aéronautique et devant le luxe. Il est donc primordial pour un gouvernement de miser sur la production et l’exportation de ce jus de raisin qui délie les langues et fait tourner la tête ! Au niveau national, sans surprise, la viticulture est le premier secteur agricole avec près de 33 milliards d’euro en valeur.
Outre la promotion de l’art de vivre à la française et les enjeux économiques, nous pouvons également observer l’importance du vin dans la politique française de nos jours. En effet, depuis la loi Evin de janvier 1991, qui vise en partie à limiter la consommation d’alcool et notamment de vin, de nombreux politiques n’ont cessé de se battre pour amender ce texte. En 2015, la loi Macron comporte un amendement permettant de faciliter la publicité pour les vins de terroir, ce qui ne manquera pas d’agacer la ministre de la santé Marisol Touraine. Sous le mandat d’Emmanuel Macron, alors qu’Agnès Buzyn a tenté un durcissement de la loi Evin, le président a désavoué en enrichissant le fameux slogan “un verre ça va, trois verres bonjour les dégâts” par la phrase “deux verres, cela va encore”.
En effet, Emmanuel Macron, au même titre que Darmanin qui fustige le cannabis tout en faisant la promotion du vin, fait partie de ces hommes politiques qui utilisent le vin comme moyen de s’attirer des voix, les voix d’un peuple français fier de ses traditions, de ses racines (au début du XXème siècle, 3,5 millions de foyers vivaient du vin !) et de sa production nationale. Jean Petaux, politologue à Science Po Bordeaux déclare affirme que le soutien politique au vin et aux agriculteurs en général est “surtout une question électoraliste”, et que pour de nombreux députés, le vin “est une question de patrimoine, de mode de vie. Aussi de lutte contre la bien-pensance”.
En conclusion, si nos politiques ne peuvent se priver de parler de vins lors de campagnes, et d’en faire la promotion au détriment des dangers sanitaires, c’est certainement parce que le vin fait partie de notre patrimoine culturel (et génétique…), qu’il a façonné notre histoire et qu’il soutient une partie de notre économie. Et puis, comme le disait Pasteur, “le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons”.