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« Je fis, adolescente, la rencontre d’un prince enflammé, impérieux, traître comme tous les grands séducteurs : le jurançon » déclare Colette (prix Nobel de littérature en 1948). Partons, nous aussi, à la rencontre de cette appellation située au cœur du Béarn.
Une appellation au cœur de l’histoire française
La légende voudrait que Jurançon soit un vignoble royal depuis qu’Henri II de Navarre y ait acheté des vignes au XVIème siècle. Son petit-fils, Henri IV, roi de France et de Navarre, aurait, quant à lui, été baptisé avec une gousse d’ail sur les lèvres et quelques gouttes de Jurançon sur le palais.
Forte de sa présence à la table des rois de France et de Navarre, l’appellation gagne ensuite logiquement en notoriété jusqu’au XIXème siècle. De nombreux producteurs s’installent dans les alentours, et privilégient souvent la quantité à la qualité pour satisfaire la demande croissante en vins. Le vignoble est, par la suite, fortement touché par les maladies. Il faut alors attendre la fin du XXème siècle pour voir un renouveau de l’appellation avec l’arrivée des jeunes vignerons.
Le royaume du Manseng
Nous sommes ici au pied des Pyrénées Atlantiques, sur des terrasses situées entre 300 et 400 mètres d’altitude. La proximité de l’océan et des montagnes donne à l’appellation un climat équilibré, sans grandes variations de température. Les sols y sont pauvres (majoritairement calcaire ou argilo-calcaire), ce qui permet un enracinement profond des racines. Toutes les conditions sont donc réunies pour la production de raisins, et donc de vins, de qualité avec une jolie concentration des baies.
Jurançon, c’est aussi le royaume du Manseng, cépage dont on distingue deux variétés : le Petit Manseng et le Gros Manseng. Le premier est avant tout utilisé pour la réalisation de vins liquoreux tandis que le second est privilégié pour les vins secs. Malgré leurs différentes propensions à se concentrer en sucre, les vignerons raisonnent de plus en plus en termes de parcelles – c’est-à-dire les dates de vendange, la maturité des baies… – dans leur assemblage plutôt que de cépage. On retrouve donc une part croissante de Petit Manseng dans les Jurançons secs et inversement.
D’autres cépages délaissés peuvent rentrer dans l’assemblage du Jurançon : le Courbu Blanc, le Camaralet de Lasseube et le Lauzet. Peu de vignerons les cultivent de nos jours mais ils parviennent à apporter un degré de complexité supplémentaire aux vins. Si les deux Mansengs font aujourd’hui l’unanimité sur l’appellation, c’est parce que ceux sont des cépages capables de conserver une jolie acidité malgré des baies concentrées en sucre.
Les Jurançons secs à table
Pour tout amateur, Jurançon est une appellation de vins liquoreux, superbement adapté à accompagner la star de la gastronomie locale, le foie gras, ou des desserts. Bien que cela soit vrai, ne nous arrêtons pas en si bon chemin et penchons-nous un instant sur un verre de Jurançon.
Aucun doute, nous sommes ici face à un vin sec, sa robe dorée au reflets verts ne nous trompe pas. En revanche, au nez, on retrouve les mêmes marqueurs d’un Jurançon liquoreux : du miel de Montagne, des fruits exotiques comme de la mangue ou de la passion, et une jolie trame d’épices douces comme de la cannelle ou du girofle. En bouche, on dissipe cette fois toutes les incertitudes, c’est bien à la nervosité d’un blanc sec que nous avons face à nous.
Vous l’aurez compris, hors de question ici de se rabattre sur le classique Jurançon-Foie gras du Béarn qui trouve souvent sa table sur la table des fêtes. Allons plutôt sur des mets moins marqués pour ne pas étouffer notre vin ou provoquer un trop gros déséquilibre entre notre verre et notre assiette. La cuisine locale vous offre une pléthore de solution.
En entrée, pourquoi ne pas se laisser tenter par un filet de truite des Pyrénées avec quelques légumes de saison cuits et crus. L’aromatique miellée et fruitée du Jurançon ira à merveille à ce poisson qui est à son aise dans les accords sucrés-salés. Pour le plat, la classique poule au pot du Béarn fera votre bonheur. Les légers contrastes entre votre verre et votre assiette apporteront du relief à l’accord dans son ensemble. Terminez votre repas en apothéose avec un plateau de fromage locaux : tomme noire des Pyrénées, pérail de brebis ou même Ossau Iraty, tous iront comme un gant à votre Jurançon. La gourmandise du vin répondra avec brio à la puissance du fromage.
En somme, un repas qui reste fidèle aux racines béarnaises de Jurançon. Face à un public encore plus gourmand, n’hésitez pas à prendre un apéritif au foie gras et jambon sec local accompagné d’un Jurançon liquoreux. Le dessert sera l’occasion de terminer la bouteille sur une pêche de Roussanne rôtie ou une galette béarnaise.
© Photo : Domaine Cauhapé