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Enquête gourmande sur le Pinot Gris d’Alsace
Inspecteur du goût aux méthodes hasardeuses mais à l’enthousiasme redoutable, je harangue mon plus fidèle équipier, le Tire-bouchon, pour lui proposer de dévaler les pentes vallonnées de ces terroirs alsaciens arrosés par la beauté. Le Tire-bouchon frémit à l’idée de se rapprocher au plus près d’un joyau adoubé par la noblesse alsacienne : le Pinot Gris.
Mon acolyte le Tire-bouchon se remémore avec un brin de nostalgie les moments tendres vécus en compagnie des flûtes alsaciennes : la vivacité subtile d’un Riesling dans l’éclat de sa jeunesse, du Domaine Weinbach ou encore cette volupté terriblement désirable d’un Gewurztraminer Vendanges Tardives cajolé par son terroir, comme le magicien André Ostertag sait si bien le faire. Oui mais voilà, l’histoire d’amour de mon tire-bouchon avec le Pinot gris, où est-elle ?
Identification du succulent suspect
Le Pinot Gris d’Alsace n’est pas autant sous le feu des projecteurs que ses camarades Riesling et Gewurztraminer. Il ne représente qu’à peine 15% de l’encépagement alsacien quand le Riesling s’approche, lui, de 30% et le Gewurztraminer, 25%. Faut-il aller chercher une explication de ce relatif désamour dans ses origines ? Le Pinot Gris a vu le jour non pas en Alsace mais en…Bourgogne, mais c’est en réalité anecdotique. Ce cépage a longtemps mené une double vie. Avant la signature d’un décret datant de 1984, il s’exhibait sous le nom de Tokay d’Alsace.
Je crois que notre enquête gourmande est à un tournant. Il serait peut-être judicieux d’aller fouiner, ne serait-ce que l’espace d’un instant, en terres hongroises. Mon Tire-bouchon, interloqué et surtout assoiffé, me suit dans cette parenthèse étrangère. Je lèche les vitrines de Vienne : le Tokaj est partout mais mon hypothèse tombe rapidement à l’eau. On me certifie sur l’honneur que cet apparent lien de parenté est faussé. C’est d’ailleurs pour éviter cette confusion que l’identité Tokay d’Alsace est désormais supprimée.
Sur le lieu du crime de gourmandise, à Riquewihr
Quelque peu refroidi par cette mésaventure, je me ressaisis, galvanisé par la perspective d’arpenter les vignes alsaciennes. Mon Tire-bouchon aussi. Allons rencontrer ce Pinot Gris pour voir ce qu’il a à nous raconter, si sa réputation de cépage un peu moins côté est véritablement justifié. Je pose dans un premier temps mes valises à Riquewihr, où les cigognes se prélassent dans leurs nids douillets. Je fais face à une maison d’antan au charme désuet mais persistant. Je pousse une porte en bois massive et sculptée par le temps.
Une splendeur entièrement faite de verre capte mon attention. Mon tire-bouchon lui demande immédiatement son prénom : Pinot Gris, 2011, Grossi Laüe, Maison Hugel. Ce Pinot Gris nous pend aux lèvres lorsqu’il s’exprime. Généreuse à souhait, la bouche est suave, douce, terriblement plaisante. Le fumé répond au miellé et les fruits jaunes ne sont pas oubliés. Un écho de minéralité traverse l’océan, menacé par une tempête de saveurs accrocheuses. Un léger taux de sucre résiduel (9g/L) confère cette gourmandise toujours bienvenue pour équilibrer les débats. Le Pinot Gris est ici saisi dans toute sa complexité et sa subtilité. On est loin de l’opulence de certains Pinots Gris qui pèsent sur l’harmonie et qui virent parfois au drame gustatif.
Nouvelle piste sur la route du goût, à Wettolsheim
Mon Tire-bouchon, à peine remis de ses émotions, bafouille. Je le sens affaibli, tenant à peine sur sa tige métallique. Serait-il en pleine crise d’hypoglycémie ? Je puise dans ma mémoire et me rappelle un Pinot Gris Vendanges Tardives du Domaine Albert Mann. Inquiet pour la santé de mon équipier, je reprends la route des vins pour aller à quelques encablures de Colmar, un peu plus au Sud cette fois-ci, à Wettolsheim. Urgence et gourmandise obligent, je me rue sur ce Pinot Gris Vendanges Tardives Altenbourg.
Pendant que mon Tire-Bouchon reprend des forces, je me concentre sur ce jus attrayant. Les sens sont éveillés puis entièrement réveillés par des faisceaux de saveurs marquées. Le confit de la poire se mêle joyeusement au coing et à l’ananas rôti. Ce vin ne retient pas ses atouts mais nous tient bien en haleine. Sa richesse donne le vertige : on s’étonne par la multitude de goûts qui traverse notre nez et notre palais. Un peu épicé, réglisse et miellé, c’est une ode à la complexité. Je m’attarde sur cette cuvée mais le Domaine Albert Mann nous régale à tous les échelons du goût en matière de Pinot Gris : sur les secs avec le majestueux Grand Cru Furstentum ou en liquoreux avec une Sélection de grains nobles Altenbourg à faire rougir de plaisir le moindre de vos convives.
Affaire classée ?
Je quitte l’Alsace régénéré, satisfait d’avoir percé à jour autant de secrets. Je n’en reste pas moins prudent : d’autres domaines alsaciens pourraient me donner envie d’enquêter à nouveau sur le Pinot Gris. Je crois que mon Tire-bouchon serait aussi de la partie.
© Photo : Famille Hugel