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Dans un vignoble où prédominent les vins blancs, le pinot noir peine à se faire une place de choix. Longtemps décrié, il a failli disparaître au début du XIXème siècle. Fort heureusement, un nombre croissant de vignerons alsaciens démontrent aujourd’hui leur volonté de redorer son image – preuve que cette variété emblématique de Bourgogne peut faire des merveilles aussi en Alsace.
L’exception rouge dans un vignoble dominé par les cépages blancs
Le vignoble alsacien tient sa réputation de ses grands vins blancs aromatiques mettant en valeur des cépages propres à ce vignoble, à commencer par le Riesling et le Gewurztraminer. Cette région bénéficie en effet d’un microclimat propice à la production de ces variétés. Recouvrant plus de 15 000 hectares sur une bande étroite de 170 kilomètres entre Strasbourg et Mulhouse, elle est protégée des vents d’ouest porteurs de pluie par la barrière naturelle du massif des Vosges, faisant de ce vignoble le plus sec et ensoleillé de France.
La combinaison de la semi-continentalité du climat et de la diversité de reliefs et de sols résultant de la formation géologique mouvementée de la région a conduit les vignerons locaux à favoriser la culture de variétés très aromatiques. Principalement vinifiés seuls afin de conserver leur typicité et leur caractère, ils ont forgé l’identité de la région. Parmi la dizaine de variétés cultivées en Alsace, quatre se distinguent : le Riesling, le Gewurztraminer, le Pinot gris et le Muscat. Ces cépages dits « nobles » sont en effet les seuls – à quelques exceptions près – autorisés pour la production des grands crus, des vendanges tardives et des sélections de grains nobles.
Et le Pinot noir dans tout ça ? Seul cépage rouge autorisé dans l’appellation d’origine contrôlée Alsace, il ne représente que 10 % du vignoble. S’il est aujourd’hui marginal dans la production de vins alsaciens, cela n’a pas toujours été le cas. Venu de sa région de prédilection, la Bourgogne, il côtoyait au Moyen-Âge d’autres cépages rouges désormais disparus. A cette époque, la production de vins rouges était alors bien plus importante. Leur déclin, amorcé à la fin du XVIème siècle, s’est amplifié au fil des siècles. Après la Seconde Guerre Mondiale, le Pinot noir ne représente plus que 2 % de la production alsacienne, mettant en péril sa pérennité. La création de l’AOC Alsace en 1962 lui assure cependant une reconnaissance, étant le seul cépage rouge autorisé dans les vins de l’appellation.
Un cépage longtemps utilisé pour produire des vins rouges et rosés légers et fruités
Malgré la reconnaissance de l’AOC et la replantation progressive de Pinot noir dans le vignoble alsacien, les vins issus de ce cépage restent aujourd’hui peu considérés. La faute à la production majoritaire d’un style de rouges et rosés légers et fruités, servis frais voire parfois glacés – une hérésie pour les amateurs qui contribue à ternir l’image de ce cépage en Alsace.
Ces vins ont pourtant l’avantage d’être désaltérants, faciles à boire et accessibles dans la jeunesse. En rouge comme en rosé, ils mettent en valeur les arômes primaires du Pinot noir, en particulier ses parfums marqués de petits fruits rouges tels que la groseille, la framboise ou encore la fraise. Ils accompagnent sans prétention des apéritifs entre amis et des repas simples mais conviviaux – de la volaille ou de la viande rouge simplement grillée pour les vins rouges, de la charcuterie ou encore des assortiments de légumes pour les rosés.
Vers une production plus qualitative de rouges complexes et charpentés
Le style léger, frais et fruité du Pinot noir d’Alsace souffre incontestablement de la comparaison avec son homologue bourguignon, généralement vinifié dans un style plus concentré, avec un élevage en fût de chêne plus ou moins long, lui conférant une aptitude à la garde plus importante. De plus en plus de producteurs alsaciens démontrent cependant leur volonté de produire un style complexe et charpenté proche de celui que l’on retrouve en Bourgogne. Ils choisissent d’élever le Pinot noir en fût de chêne ou en foudre – un tonneau de grande capacité très courant en Alsace – afin d’obtenir des vins rouges structurés et concentrés, aux arômes prononcés de fruits noirs (mûre, cassis, cerise) parfois accompagnés de notes vanillées dues à l’élevage, évoluant sur des parfums de cuir et de sous-bois après quelques années de garde.
Certains terroirs particulièrement riches en calcaire et en fer sont réputés pour leur Pinot noir. Parmi ceux-ci, on peut notamment citer Ottrott, Rodern ou encore Saint-Hippolyte – trois villages qui ont été officiellement reconnus comme dénomination géographique communale de l’AOC Alsace pour le Pinot noir en 2011. Une avancée pour la reconnaissance de ce cépage qui ne suffit plus à un nombre croissant de vignerons, qui souhaitent que l’INAO autorise la production d’Alsace Grands Crus en Pinot noir. Une discussion encore en cours qui n’empêche pas de se faire plaisir dès aujourd’hui avec des grands vignerons de Pinots noirs d’Alsace qui illustrent à merveille leur terroir, à l’image du Burlenberg de Marcel Deiss ou encore du Bollenberg de Valentin Zusslin.
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