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Crémant de Savoie : La Voie de l’Audace effervescente
Disons-le d’emblée : se procurer un Crémant de Savoie dans la jungle parisienne relève presque du miracle. Il a fallu que je remue ciel et terre pour mettre la main sur une palanquée de suggestions avinées. Mon téléphone a chauffé, ma voix s’est éraillée, ma crinière clairsemée a encore perdu un nombre non négligeable de compagnons échevelés mais j’ai fini par y arriver, grâce à l’appui de cavistes mordus de nouveauté auxquels je souhaite rendre hommage pour leur engagement à donner du crédit à ce qui est différent.
Un Nouveau-né dans le paysage vinicole français
Avant de m’appesantir sur mon bureau et de déblatérer sur le sujet, j’ai sondé mon cercle d’amis assoiffés : « Un Crémant de Savoie, vous en avez déjà goûté un ? ». À l’unanimité, ils ont tordu leur cou d’un quart de cercle pour me signifier que non, à l’exception peut-être d’un camarade pochetron qui zyeutait sur la prochaine quille à faire tomber et qui se contrecarrait de ma question.
Quand on souhaite chatouiller notre palais par un nuage d’effervescence, on songe rarement à la Savoie. Pour tenter d’obtenir une ébauche d’explication à cette interrogation, je me rancarde auprès de Marc, caviste virevoltant et attachant qui officie au Gegeor, un des repaires dont je suis très friand dans le neuvième arrondissement. J’y apprends d’abord que le vignoble savoyard se distingue par sa petitesse : avec seulement 2000 hectares, le terrain de jeu ne s’étire pas indéfiniment. Marc ajoute que les Crémants de Savoie ne comptent que pour 4% dans la production totale régionale : une gouttelette dans un océan de vin. Même si la soif commence à me tirailler et à menacer ma capacité à rester concentré, je livre mes dernières forces dans la bataille pour imprimer dans mon esprit que l’appellation Crémant de Savoie ne joue les trouble-fêtes que depuis 2014 ! Avant cette date, les bulles savoyardes fusaient déjà mais n’étaient pas encadrées par un cahier des charges bien épais.
7 années face à des siècles de recherches mouvementées du côté de la Champagne : la jeune Savoie affronte des régions qui font sensation, qui défraient la chronique depuis d’innombrables générations. Je n’ose m’aventurer en dehors des frontières françaises si ce n’est pour affirmer que la rivalité entre liquides gazéifiés dépasse l’entendement. Pas facile de creuser son sillon face à autant de propositions gustatives plus ou moins ancrées dans les habitudes de consommation.
Avant de m’éloigner de cette bibliothèque vinicole qu’est le Gegeor, je repars accompagné – repartir seul aurait été intolérable après avoir entraperçu tant de glamour alcoolisé – d’une fiole « tendrement enivrante » sorti des entrailles du Domaine Giachino. Fini de tergiverser, il est temps de s’adonner au plaisir de déguster.
Un Vin pas vraiment anodin
Le Crémant de Savoie a une expression plurielle : la mosaïque de cépages et de terroirs offre aux Chevaliers du raisin d’infinies possibilités de se démarquer, et ce avec le souci constant de viser la qualité. Examinons d’un peu plus près la bombe de sucrosité, le Giac’Bulles, confectionnée par Frédéric et David Giachino. La Jacquère, étendard savoyard, déploie son joli minois entre marne et blocs de calcaire. Cette franche mise en avant de la Jacquère dans cet amas de sphères pétillantes fait figure d’exception : l’appellation Crémant de Savoie brille par sa complexité en imposant un assemblage majoritaire de Jacquère et Altesse qui peut être complété par une incursion de Chardonnay, à 40% maximum. Quelques nuances sont à noter dans votre calepin de soiffard revendiqué : d’autres apports locaux peuvent ponctuellement satisfaire la Police du goût savoyard comme la Mondeuse, le Chasselas, la Molette ou encore le Gringet.
C’est en m’encanaillant dans les ruelles du South Pigalle – SoPi pour les intimes – aux pavés fumants et aux néons clinquants teintés de rouge ardent que je mets la main sur un Crémant fringant à l’allure plus conventionnelle. L’excellent Pierre Renauld, régisseur général du 228 Litres, m’extrait dans une lignée de Pet ‘Nat joliment bariolée, un flacon de la Maison Michel Grisard. On prend notre Envol dans la sphère de la légèreté avec cette cuvée qui mêle Altesse, Jacquère et Chardonnay. Un cocktail extrêmement rafraîchissant à la bulle adroitement réalisée et aux saveurs de citron et de fruits blancs bien marquées. Une bouteille à sérieusement considérer pour ouvrir les festivités dès l’arrivée des premiers invités.
Des Jus pour prendre de la hauteur et atteindre les sommets
Les crémants de Savoie ne vont pas seulement vous extirper de votre quotidien avec un bon bol d’air frais. Certains vont vous mener vers les plaisirs sains de la méditation et de la contemplation. Je ne pouvais pas achever mes tribulations savoyardes sans évoquer Dominique Belluard qui déploie des efforts titanesques sur le massif du Chablais pour sublimer le Gringet, raisin peu coté au Cac 20. Prenez des bouteilles d’oxygène avec la cuvée Mont Blanc : on monte très haut, très vite. Les goûts sont ciselés, la bouche est fondante à souhait, l’harmonie s’impose sans vaciller. Un brut zéro qui met KO et qui n’a rien à envier à ses alter egos champenois.
Tous mes doutes ont été balayés suite à cette course effrénée, entre Paris et la Savoie. Le Crémant de Savoie donne de plus en plus soif au fur-et-à-mesure qu’on en boit. Il y a de quoi être étonné voire sidéré alors…pourquoi s’en priver ?